Voyage au coeur du cerveau
« Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent et tant que l’on n’aura pas dit que, jusqu’ici, cela a toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chance qu’il y ait quoi que ce soit qui change. »
Henri Laborit
Voyage au cœur du cerveau :
- Un survol des différentes zones et fonctions du cerveau
- Les principaux neurotransmetteurs
Un deuxième article, vous permettra une passionnante plongée au cœur des neuromythes afin de :
- Comprendre leur histoire,
- Vous tester,
- Obtenir les éléments de réponses mis à jour des dernières recherches,
- Les intégrer (ou désintégrer) de vos pratiques !
Les neurosciences : une discipline toute jeune !
Notre cerveau est notre premier organe de survie. Mais d’après les neuroscientifiques, nous n’en connaissons qu’un 1 %… La recherche est en mouvement : chaque jour, de nouveaux paradigmes émergent, bousculent les théories, avant de se faire renverser à leur tour par de nouveaux modèles !
Telles les premières cartes des explorateurs, le courant scientifique appelé « locationiste[ » a tenté de représenter les régions du cerveau. En 1909, les travaux de l’anatomiste allemand Brodmann ont permis d’identifier 52 régions (les aires de Brodmann) et permettent aujourd’hui d’associer une zone à une fonctionnalité : par exemple, l’aire BA17 correspond au cortex primaire visuel où arrivent les informations visuelles en provenance de la rétine.
En 1930, Wilder Penfield schématise une représentation du cortex. L’homonculus est une tentative de représentation du cortex sensori-moteur.
Cette illustration représente le nombre de connexions neuronales dédiées à chaque zone du corps. Une partie des résultats est de nos jours contestée.
Grâce aux progrès des techniques d’imagerie et aux casques électroencéphalographiques les années 90, ont permis de découvrir le cerveau en action et de mettre en évidence, les interconnections des différentes zones du cerveau. En publiant « L’Erreur de Descartes », Antonio Damasio soutient que « l'erreur » de René Descartes était la séparation dualiste de l'esprit et du corps, et démontre l’implication des émotions dans nos décisions.
Aujourd’hui, grâce aux nouveaux systèmes d’imagerie, la connaissance du cerveau progresse à toute vitesse et rend les anciennes classifications insuffisantes ou inexactes. La collaboration entre des scientifiques allemands et canadiens a abouti à une modélisation en 3D du cerveau humain à la résolution record de 0,02 mm, soit 50 fois mieux que ce que l’on faisait auparavant. Ce projet se nomme BigBrain, le voici en vidéo
Un autre projet unique au monde, se nomme Iseult : initié et porté par le CEA et opérationnel depuis 2021, il vise au développement d’un IRM à très haut champ, exclusivement destiné à la recherche de pointe en imagerie cérébrale, pour l’exploration du cerveau à très hautes résolutions spatiale et temporelle. Avec cette machine de 132 tonnes, nul doute que l’on n’a pas fini de repousser les limites de l’exploration du cerveau.
Vous trouverez donc dans cet ouvrage les connaissances les plus actualisées possible… qui seront peut-être déjà dépassées lorsque vous lirez ce livre…
Démarrons par le B à Ba :
Le cerveau assure notre survie. Il doit sans cesse permettre l’adaptation aux changements et ce, à la vitesse que ces derniers imposent. Notre cerveau est encore mieux qu’une véritable Ferrari : L'information y circule jusqu'à 430 km/h, mais il nous est livré en kit, et nous n’avons, ni mode d’emploi ni même le permis de conduire …
Comme la Terre, le cerveau est divisé en 2 hémisphères, occupés chacun par 4 continents : frontal, pariétal, occipital, temporal. Le corps calleux entre les 2 hémisphères permet, grâce à un intense réseau de fibres, d’échanger les informations. Une partie du cortex s’y engouffre jusqu’à l’insula, une « île » considérée comme notre 5e continent.
Chaque lobe est présent dans les deux hémisphères et participe à certains processus. Si l’on peut attribuer certaines fonctions à certaines parties du cerveau, on sait désormais qu’il s’agit d’un système dynamique dans lequel les zones sont interconnectées, aucune ne pouvant fonctionner seule. (voir sujet suivant sur les neuromythes#1)
Figure 2 – Schéma du cerveau (source : Wikipedia)
Histoire de l’évolution du cerveau
Les premières structures cérébrales (amas de cellules) seraient apparues il y a plus de 500 millions d’années. Chez l’Homme, environ 86 milliards de neurones se sont concentrés dans la boîte crânienne. Dans les années 1950-1960, le neurobiologiste MacLean a décrit trois grandes étapes du développement du cerveau correspondant selon lui à des strates d’organisation. Cette théorie du cerveau triunique : cerveau reptilien, cerveau limbique et néocortex, a été controversée du fait que ces trois parties ne se sont pas construites telles des couches géologiques indépendantes. De fait, les scientifiques s’accordent autour de la notion d’aires cérébrales comme étant des ensembles en interaction. Bref, la structuration du cerveau selon un schéma géologique par couches est une idée séduisante, mais c’est encore un neuromythe#6 !
Le ventre ou cerveau entérique
Selon le neurophysiologiste Michel Neunlist, le système nerveux entérique, situé dans notre ventre, serait le cerveau originel. Appelé parfois le « second cerveau »[2], ce cerveau entérique est doté d’environ 500 millions de neurones, soit plus que le cerveau d’un chien. Avoir l’estomac noué, avoir la peur au ventre… Voilà autant d’expressions qui indiquent, comme le précise Michael Gershon, professeur à la Columbia University, que le ventre contiendrait les archives émotionnelles de notre vie. C’est d’ailleurs dans le ventre qu’est fabriquée 95 % de la sérotonine, hormone du plaisir et puissant antidépresseur.
Le saviez-vous ?
Le « cerveau entérique » ressent et communique les informations à « l’autre cerveau ». La recherche s’intéresse beaucoup à ce sujet et les études sur l’influence du microbiote intestinal se multiplient. Elles démontrent un lien entre le type des bactéries de nos intestins et nos choix d’alimentation (grasse, sucrée, etc.)
Le cervelet ou cerebellum
Cervelet : Voici bien une dénomination « petit cerveau » qui induit en erreur ! Avant les années 1990, on croyait presque unanimement que la fonction du cervelet n'était relative qu'au mouvement, à la coordination, mais des découvertes plus récentes ont remis sérieusement en cause ce point de vue.
Le saviez-vous ?
Logé à l’arrière de notre crâne, en haut de notre nuque, le cerebellum est le carrefour qui relie les sensations physiques aux émotions et aux processus cognitifs. Le cervelet représente ne 10 % du volume total du cerveau mais contient la moitié du nombre total de neurones, et plus que notre cortex cérébral ! Il est relié à nos muscles via la moelle épinière.
Il joue un rôle essentiel dans la coordination de nos mouvements mais il intervient également dans des fonctions exécutives comme la mémoire à court terme, l’attention, le raisonnement abstrait et l’anticipation. Il participe à la régulation visuo-spatiale et au langage ou de la socialisation[3].
Finalement, c’est un véritable chef d’orchestre qui a un rôle de modulation et de régulation dans la cognition et les émotions, lequel est le pendant de sa fonction de modération et de régulation sur le plan moteur. Nous manipulons les concepts comme nous manipulons les objets : impliquer le corps est donc essentiel pour un apprentissage efficient. D’ailleurs le chapitre 7 du livre Funny Learning est entièrement dédié à l’activation de notre cervelet et la mise en mouvement des apprenants.
Le cerveau limbique
Appelé aussi système limbique, il est situé au centre de notre cerveau. Il est constitué de plusieurs structures dont l’hippocampe et l’amygdale qui nous intéressent particulièrement dans les processus d’apprentissage. Ce système est impliqué dans des fonctions plus complexes telles que les comportements liés aux émotions et la mémoire. Cette partie du cerveau assure la survie individuelle par la satisfaction des besoins primaires (sommeil, alimentation et reproduction). Le système limbique gère également la survie au sein d’un groupe (instinct grégaire, intuition, fuite, attaque, rapports de force…).
Le saviez-vous ?
Dénommé aussi « système 1[4] » ou « voie basse de l’intelligence relationnelle », il est rapide, sans accommodement, tranché dans ses jugements, et ne fait pas de compromis. En cas de stress, il court-circuite le poste de pilotage du néocortex et les fonctions cognitives d’interprétation.
Sous contrôle du cerveau limbique, les comportements peuvent s’avérer impulsifs. En cas de perception de danger, l’amygdale, véritable sentinelle, prend le relais pour assurer notre survie. En matière d’apprentissage, le cerveau limbique va vous encourager à utiliser ce que vous connaissez le mieux plutôt que de vous risquer à de nouveaux comportements. Spontanément, nous cherchons à satisfaire les pulsions et les émotions vécues comme des états d’urgence. Le cerveau limbique serait donc notre « cerveau émotionnel ». Vouloir associer une fonction à chaque élément du système limbique est réducteur quand on sait à quel point le cerveau est un réseau interconnecté.
L’hippocampe
Le saviez-vous ?
Nous pourrions d’ailleurs évoquer les hippocampes puisqu’il en existe un au sein de chaque hémisphère, qui jouent un rôle central dans la mémorisation et la localisation (mémoire spatiale et de navigation).
Situé dans le système limbique, on peut d’ores et déjà comprendre que les émotions soutiennent la mémorisation. Voilà pourquoi vous vous souvenez durablement de ce que vous faisiez le 11 septembre, lorsque les tours jumelles s’écroulèrent… Dans les deux structures en forme d’hippocampe, les différents types de neurones sont organisés sous forme de strates distinctes. Les neurones de l’hippocampe démontrent une grande plasticité[5], notamment avec « la potentialisation à long terme » (PLT) qui participe aux processus de mémorisation. Ces thèmes sont abordés au chapitre 6 et 8 de notre livre.
Le striatum
Le striatum joue un rôle crucial dans la régulation de divers aspects du comportement, en particulier ceux liés à la motricité, la récompense et la motivation. Il est impliqué dans le contrôle des mouvements volontaires, la prise de décision, ainsi que le traitement des récompenses et des motivations. Le striatum reçoit des informations de diverses régions du cortex cérébral et les intègre pour influencer les réponses motrices et comportementales.
Le saviez-vous ?
Le striatum est fondamental pour la motivation car il traite les signaux de récompense et de plaisir, intégrant ces informations pour influencer les comportements dirigés vers un but. Il joue un rôle clé dans l'apprentissage par renforcement, aidant à associer certaines actions à des résultats positifs et motivants, ce qui encourage la répétition de ces actions… ou des habitudes.
Le striatum, sous influence de la dopamine, viserait entres autres, à orienter nos décisions en faveur du moindre effort et maximum de plaisir à court terme[6] en comparant les différentes options (gains potentiels, efforts nécessaires, immédiateté de la récompense). Mais, il semble bien qu’il ne soit pas le seul à participer à la décision, car c’est un mécanisme de coopération et de dialogue entre différentes structures de notre cerveau.
L’amygdale, le circuit de la peur
La peur se fraye plusieurs chemins dans le cerveau. Tous semblent passer par l’amygdale, située dans la région limbique du lobe temporal. L’amygdale reçoit constamment des informations sensorielles visuelles, auditives, olfactifs gustatives qu’elle évalue. Dès que ces éléments sont perçus comme dangereux, le complexe amygdalien du cerveau oriente et dicte des réactions comportementales de défense ou de fuite telles que sursaut, tension musculaire. C’est là qu’est établie et imprimée en mémoire l’association entre un stimulus extérieur et sa connotation positive ou négative. Une seule expérience initiale encodée négativement suffit ensuite à induire une réaction de crainte même en l’absence d’un stimuli externe. Court-circuitant toutes les autres tâches en cours, l’amygdale provoque des réactions physiologiques comme une accélération du rythme cardiaque pour préparer le corps à une éventuelle fuite.
Le saviez-vous ?
Une fois activé, le circuit de la peur, dépasse en vitesse, celle de la prise de conscience d’un événement dangereux. L’amygdale a perçu le danger et avant que le cortex cérébral, siège de la conscience, ne soit activé.
Le néocortex, le système 2
Le néocortex, le plus récent dans l’évolution, est présent chez les mammifères les plus évolués (baleines, chimpanzés, dauphins et… l’Homme). À sa surface, il se présente comme une sorte de couverture plissée qui, à elle seule, représente une superficie de 2 m². C’est notre cerveau « civilisé » ou « rationnel » dénommé également « système 2 ». Il est chargé de traiter les informations de manière élaborée : il trie, compare, indexe et résout les problèmes complexes. Cette zone longtemps considéré comme le siège de la pensée, de l’analyse, de la conscience et de la prise de décision est moins rapide que le système 1 ; Son fonctionnement exige une certaine attention et concentration. Les relations entre le système limbique et le néocortex sont souvent comparées à celles d’un cheval et son cavalier : le cheval, c’est le limbique caractérisé par l’héritage sensoriel et sensuel des êtres vivants. Le cavalier (néocortex) c’est le pilote, censé donner une direction au cheval, à moins que les émotions ne prennent la main et que le cheval ne s’emballe !
Le saviez-vous ?
On sait désormais depuis les travaux d’Antonio Damasio que le cortex cérébral ne peut cependant pas être considéré à lui seul comme notre faculté de penser. En effet, car les deux systèmes 1 et 2 sont toujours impliqués dans la formation d’une décision ou d’un jugement.
Selon D Kahneman, le cerveau recourt d’abord aux intuitions du système 1, sortes de raccourcis automatiques, permettant d’économisant de l’énergie, d’où nos nombreux biais cognitifs…
Le cortex préfrontal, clé de la sagesse ?
Houdé ; Apprendre à résister (2014, nouv. éd. 2017)
Cette zone située derrière notre visage est la dernière région corticale à se développer au cours de notre évolution. Sa consolidation ne s’achève que vers 20 ou 25 ans. Cette région est le siège de différentes fonctions cognitives les plus sophistiquées ainsi que dans la régulation de processus émotionnels. Elle joue un rôle, par exemple dans le raisonnement, la planification, la résolution de problèmes complexes, ou les stratégies d'organisation. Le cortex préfrontal nous permet d’amortir les réponses émotionnelles, d’exprimer des opinions personnelles nuancées, de nous libérer des automatismes imposés par le système limbique. Il facilite l’affirmation de soi, la médiation dans les cas de conflits et incite à la coopération. Il est le centre des aptitudes à changer, à tirer leçons des expériences, à apprendre et à agir différemment en opérant des choix conscients.
Le saviez-vous ?
De récentes études sur la dépression semblent indiquer que les deux moitiés du cortex préfrontal soient spécialisées : Le cortex préfrontal gauche serait impliqué dans l’établissement de sentiments positifs, et le cortex préfrontal droit dans celui de sentiments négatifs. Le cortex préfrontal gauche pourrait aussi chez la personne normale contribuer à inhiber les émotions négatives générées par des structures limbiques comme les amygdales.
Le cortex orbitofrontal, l’arbitre
Cette région est impliquée dans la régulation des processus affectifs et motivationnels. Cette région interconnectée avec le néocortex et d’autres régions du cerveau responsables du contrôle de la dopamine, de la noradrénaline et de la sérotonine, et permet de réguler l’humeur dans une perspective de long terme. Elle permet d’inhiber de certaines émotions, de coder de la valeur motivationnelle d'un stimulus, prendre des décisions et contrôler les actions basées sur une gratification immédiate.
Le saviez-vous ?
Décrite comme le système 3, en réponse à la théorie de Kahneman, sa fonction d’arbitrage permet, selon Jean Houdé d’interrompre le système 1 émotionnel et d’activer le système 2, logico mathématique. C’est cette région qui permettrait de se libérer de la dictature du système 1 et d’entrer en résistance cognitive.
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Figure 3 – Le cerveau : repères
86 milliards de neurones, mais pas que !
Imaginez-vous à la tête de 86 milliards de neurones qui sont reliés chacun à des milliers d’autres. Sous votre crâne, il y a donc 100 000 milliards de liaisons, à savoir autant de liaisons qu’il y a d’étoiles dans un millier de voies lactées !
Pour gagner en vitesse, les fibres nerveuses sont recouvertes d'une gaine isolante appelée myéline. Si l'on mettait bout à bout toutes ces fibres myélinisées, on obtiendrait un segment long de 150.000 à 180.000 km selon les estimations. De quoi faire quatre fois le tour de la Terre...
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Le cerveau en action
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Cette animation permet de visualiser l’activité du cerveau en temps réel, à partir des données d’électroencéphalographie (EEG) sur un balayage IRMf (Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle).
Les cellules gliales (astrocytes, oligodendrocytes et microglie), du grec gloios, qui signifie « gluant » ont longtemps été considérées comme de simples supports pour les neurones. C’est certainement parce qu’elles sont « silencieuses » d’un point de vue électrique qu’elles ont moins attiré l’attention. (Voir neuromythes#4 ) Pourtant elles sont multiples aussi bien dans leurs formes que dans leurs fonctions : soutien, maintien de l’homéostasie, protection, alimentation, accélération de la conduction nerveuse… Autant de rôles indispensables à la survie et au bon fonctionnement des neurones. Mais elles participent également à l’intégration et la synchronisation des informations transmisses par les neurones et seraient alors impliquées dans la genèse de nos comportements (mouvements, émotions, pensées…). Elles constituent aujourd’hui des cibles thérapeutiques potentielles pour lutter contre les maladies neurologiques ou neuro- psychiatriques.
Le saviez-vous ?
Les neurones sont mortels : certains ont l’âge de notre cerveau, d’autres sont morts très jeunes. En effet, notre cerveau est un système dynamique : des neurones meurent, d’autres, en petit nombre, naissent (neurogenèse), les connexions se font et se défont, se renforcent pour faciliter tel ou tel comportement, les interactions se réorganisent en cas de lésion. Ce sont là les caractéristiques de la neuroplasticité et c’est la base de l’apprentissage. Un million de synapses se font et se défont par seconde[7]
On pourrait dire que notre cerveau nous est livré en kit : un enfant au cours des 24 premiers mois de sa vie, va reconfigurer son cerveau et perdre 50% de ses neurones pour fabriquer de nouveaux réseaux neuronaux mieux adaptés à son environnement.
Nous apprenons parce que votre cerveau est plastique et, plus nous apprenons, plus nous entretenons cette plasticité !
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On estime qu’en moyenne un neurone communique avec 10 000 de ses « collègues ». Certaines cellules cérébrales, comme cette cellule de Purkinje, située dans le cervelet (du nom du chercheur qui en a fait la découverte au xixe siècle), établissent un contact avec 250 000 autres cellules ! Les cellules de Purkinje sont connectées aux neurones de la moelle (tonus), du bulbe (équilibre) et du cortex (motricité). Elles sont importantes pour l’apprentissage d’actions automatiques, comme la conduite automobile.
Figure 4 – Schéma de la cellule de Purkinje
Chaque neurone ressemble à un arbre sans feuille, dont les branches (dendrites) reçoivent les informations venant des autres neurones. Les troncs (axones) sont de longueurs différentes selon leur variété et leur positionnement au sein des différentes couches du cerveau et transmettent l’information. Ils peuvent mesurer jusqu’à un mètre ! Il existe un grand nombre de types de neurones. Nous n’en décrirons ici que certains.
Les neurones miroirs
Découverts dans les années 1990 de manière fortuite par l’équipe de Giacomo Rizzolatti de l’université de Parme[8], les neurones miroirs sont une catégorie de neurones qui s’activent aussi bien lorsqu’une personne réalise un mouvement que quand elle observe un autre individu le faire ou encore qu’elle imagine ce mouvement. Vilayanur S. Ramachandran, directeur du Center for Brain and Cognition considère cette découverte comme déterminante : « La découverte des neurones miroirs est la plus importante nouvelle, non transmise de la décennie. Je prédis que les neurones miroirs feront pour la psychologie, ce que l’ADN a fait pour la biologie ».
Le saviez-vous ?
Les neurones miroirs, également appelés « neurones de l’empathie », servent à nous connecter à nos semblables et à projeter une représentation de l’action faite par l’autre. Une de leurs fonctions essentielles est de faciliter le ressenti face à ce que l’autre est en train de faire, en activant son propre système moteur.
Cette fonction va donc bien au-delà de la perception habituelle de l’œil : en effet, la seule observation visuelle, sans implication du système moteur, ne donne qu’une description des aspects visibles du mouvement, sans informer sur ce que signifie réellement cette action. « L’activation du circuit miroir est ainsi essentielle pour donner à l’observateur une compréhension réelle et expérientielle de l’action qu’il voit »[9].
Les neurones en fuseau
Appelés les « neurones de von Economo », il s’agit de cellules nerveuses, beaucoup plus grosses que les autres. De forme allongée, elles facilitent la communication à très grande vitesse, et ce sur plusieurs niveaux. Ces neurones permettent des réactions inconscientes, à la vitesse d’un réflexe. On les trouve chez les grands singes et les baleines… qui en possèdent plus que les humains. Ils interviennent dans notre intelligence sociale. Le saviez-vous ?
On les appelle aussi les neurones de l’amour. Ce sont de véritables « attrapes émotions », qui permettent de capter instantanément la qualité d’un sourire et d’y répondre de manière adaptée. D’ailleurs ces neurones préfèrent les visages heureux et sont capables de détecter d’infimes nuances dans l’expression des ressentis dans le but d’assurer notre survie. Car il est essentiel de percevoir rapidement qu’une personne nous est hostile !
La communication neuronale
Le cerveau accomplit 20 000 000 milliards de calculs par seconde, ce qui représente une rapidité des millions de fois supérieure à celle des ordinateurs. Les neurones communiquent entre eux grâce à leurs synapses qui convertissent un signal électrique (potentiel d’action) en un signal chimique libéré dans la fente synaptique (voir la figure 5) par les neurotransmetteurs ou neuromédiateurs.
Le saviez-vous ?
La communication entre les neurones se fait par des échanges chimiques et électriques via des dizaines de types de neurotransmetteurs et récepteurs. Une fois amarrés à leur récepteur, ils déclenchent des cascades de réactions chimiques composant ainsi un vocabulaire extrêmement riche.
Les neurones oscillent ensemble pour générer collectivement leur potentiel d’action dans un phénomène appelé la synchronie neuronale. Jean-Philippe Lachaux[10] compare ces circulations d’informations à la communication d’Indiens au bord d’un canyon : « Comme ces Indiens, les neurones, utilisent principalement deux modes de communication pour déplacer les signaux à travers le cerveau, par voie électrique – le long de l’axone – comme “à cheval” et par voie chimique pour traverser les fentes synaptiques – ce sont les “signaux de fumée”. En fait, chaque Indien ne voit pas un seul signal de fumée, mais 10 000, allumés par 10 000 Indiens. Certains d’entre eux signifient “tout va bien, rien à signaler” et d’autres “attention, il faut donner l’alerte”. Si la quantité de signaux excitateurs dépasse celle des signaux inhibiteurs, l’Indien finit par s’inquiéter et par donner l’alerte. Il saute alors sur son cheval pour envoyer d’autres messages de fumée. »
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Figure 5 – Schéma d’une synapse et de la fente synaptique
Les neurotransmetteurs
Les neurotransmetteurs sont des messagers chimiques qui permettent la communication neuronale. Stockés au niveau des vésicules synaptiques (voir figure 5), ils sont libérés dans la fente synaptique pour transmettre l’information. Il existe de nombreux neurotransmetteurs. Quelques-uns sont fortement impliqués dans l’apprentissage.
■ Acétylcholine : l’aide-mémoire
L’acétylcholine intervient au niveau central et périphérique dans de nombreuses fonctions physiologiques : contraction musculaire, sécrétion d’hormones, cycles éveil/sommeil, attention, colère ou sexualité. Elle intervient également dans la régulation du comportement et de l’humeur.
Le saviez-vous ?
Présente au niveau de l’hippocampe, elle est un des messagers de la mémoire qui nous permettent de retenir une information, de la stocker et de la retrouver au moment nécessaire.
On sait qu’avec l’âge, l’organisme fabrique moins d’acétylcholine ce qui peut générer des troubles de la mémoire, manque de concentration, oublis, voire, dans les cas extrêmes, des formes de démence sénile et la maladie d’Alzheimer dans laquelle on trouve un déficit de plus de 90 % d’acétylcholine dans certaines régions.
Dopamine : le carburant du plaisir
Si certains la surnomment la « molécule du plaisir », c’est qu’elle est notamment impliquée dans la survenue de cet état agréable procuré par la satisfaction d’un besoin, d’un désir ou par l’accomplissement d’une activité gratifiante. Elle intervient dans le contrôle du mouvement et de la posture, elle module l’humeur et joue un rôle dans l’apprentissage. La dopamine se diffuse dans les différentes aires du circuit de la récompense.
Les réseaux dopaminergiques du cerveau sont étroitement associés aux comportements de recherche de plaisir, d’exploration, de l’initiative, de la vigilance, du désir sexuel, et de l’évitement actif de la punition par la fuite ou le combat.
Un dérèglement des réseaux peut générer de la démotivation, de la dépression mélancolique ou des conduites addictives.
https://www.inserm.fr/c-est-quoi/pour-le-plaisir-cest-quoi-la-dopamine/
Comprendre le circuit de la récompense en vidéo
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La dopamine libérée en présence d’une récompense (ou d’un signal associé comme dans l’expérience de Pavlov) apporte une sensation de plaisir.
Le saviez-vous ?
Lors d’une phase d’apprentissage réussie par exemple, la libération de dopamine est accrue dans un ensemble de structures au centre de notre cerveau appelé « circuit de la récompense ». Or, plus notre cerveau reçoit de dopamine, plus il produit d’efforts pour retrouver une même sensation de plaisir. Le chapitre 3 fera donc une large place au plaisir !
Noradrénaline : le socialisateur
La noradrénaline est à la fois un neuromédiateur et une hormone. Elle est le précurseur de l’adrénaline.
Le saviez-vous ?
Elle est impliquée dans la modulation de l’attention, du sommeil, dans l’apprentissage, dans la sociabilité, et dans la sensibilité aux signaux émotionnels de récompense notamment.
Chez l’homme, la diminution de la noradrénaline affecte l’acquisition de connaissances, associée parfois à du repli sur soi, détachement, démotivation, dépression et baisse de la libido. En tant qu’hormone, elle participe à l’augmentation du rythme cardiaque en cas de stress.
Le docteur Perry[11] estime qu’il existe une forte corrélation entre une sensibilité noradrénergique et la recherche de sensations « socialement acceptables ». Le docteur David Magnusson[12] a suivi pendant vingt ans le parcours de tous les garçons d’une petite ville, dès l’âge de 10 ans. Certains d’entre eux, devenus criminels avaient des taux de noradrénaline bas.
La noradrénaline et la dopamine sont impliquées dans le déficit d’attention[13], où une réduction de ces neuromédiateurs au niveau du lobe frontal réduit les capacités d’attention et d’organisation. À noter que la caféine, les temps de partages, les activités de groupe et l’entraide augmentent la noradrénaline du cerveau et donc le niveau d’attention.
Sérotonine : le régulateur d’humeur
La sérotonine semble créer un terrain favorable aux comportements prudents, réfléchis et calmes. Elle joue un rôle avéré dans la régulation du sommeil en favorisant la sécrétion de la mélatonine, indispensable à l’endormissement. Elle joue également un rôle dans la régulation de l’humeur. Elle se trouve naturellement secrétée lors de l’allaitement, sous l’effet de caresses lors de promenades dans la nature.
Le saviez-vous ?
Selon l’étude de Simon N. Young, « Comment augmenter la sérotonine dans le cerveau humain sans drogues »[14], le lien entre sérotonine et pensée positive se ferait dans les deux sens : avoir des pensées positives augmenterait le taux de sérotonine, de même qu’un taux de sérotonine élevé nous aiderait à avoir plus de pensées positives.
À l’inverse, des taux de sérotonine bas apparaissent associés à l’extraversion, l’impulsivité, l’irritabilité, l’agressivité, voire aux tendances suicidaires violentes. Des taux très bas ont été relevés chez les criminels qui assassinent leur famille avant de tenter de mettre fin à leur jour. Une pédagogie positive, des encouragements et félicitations activent la sérotonine.
GABA : le relaxant
Le GABA (acide gamma-aminobutyrique) est le neurotransmetteur le plus abondant dans le cerveau. À l’instar de la sérotonine, le GABA est un inhibiteur qui freine et régule la transmission des signaux nerveux et évite ainsi l’emballement et l’épuisement du système chez l’adulte.
Le saviez-vous ?
Très présent au niveau du cortex, il intervient dans le contrôle moteur, la vision et la réponse au stress. C’est un relaxant musculaire qui ralentit le rythme cardiaque.
Des médicaments qui augmentent le taux de GABA sont utilisées pour limiter les crises d’épilepsie. Il joue un rôle clé dans le contrôle de l’anxiété. Les personnes ayant un faible taux de GABA souffrent d’anxiété et de difficultés de sommeil. Les neurones qui utilisent le GABA permettent à des réseaux de neurones de fonctionner ensemble (synchronisation). Ce mécanisme est indispensable dans les processus d’apprentissage et, plus largement dans l’intégration d’informations.
Adrénaline : le booster
L’adrénaline est également un neurotransmetteur et une hormone. Elle est libérée dans la circulation sanguine sous l’effet d’intenses émotions comme la peur, la colère notamment lors d’une situation de stress ou de danger ; elle permet ainsi de « fuir » ou de « faire face ».
Le saviez-vous ?
Elle augmente et presse notre réponse conduisant à démultiplier nos performances dans l’action. Elle renforce l’organisme et accélère le pouls, la pression, le flux sanguin, la glycémie ainsi que la force musculaire.
Des taux élevés d’adrénaline (par exemple dans le cadre de sports extrêmes) peuvent conduire à la fatigue, au manque d’attention, à l’irritabilité, à la sous-évaluation des dangers et à l’addiction.
Dans l’apprentissage, une pression positive libère l’énergie pour se mettre au travail de manière efficace. Mais lorsque la pression est trop forte, lorsque le stress est trop intense et dure, alors la peur prend le dessus et bloque les apprentissages.
[2] Source : CNSR, G. Gangarossa, 2017.
[3] Étude INSERM 2024
[4] Daniel Kahneman
[5] Le cerveau s’adapte et se modifie à chaque apprentissage
[6] Sébastien Bohler ; le bug humain
[7] Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France
[8] Voir chapitre 3, la fabuleuse découverte des neurones miroirs.
[9] Rizzolatti, conférence donnée à l’Académie des sciences, déc. 2006.
[10] Le cerveau attentif, éditions O. Jacob, 2012.
[11] Baylor College of Medicine, Houston, Texas.
[12] Institut Karolinska, Stockholm, Suède.
[13] TDAH, Trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité.
[14] Simon N. Young « How to Increase Serotonin in the Brain Without Drugs » (2007) Journal of Psychiatry & Neuroscience, 32(6) : 394–399.